Le 20 novembre 2023, Gaëlle Rouard, qui développe une relation d’instrumentiste avec ses outils mécaniques, a installé son projecteur 16mm au milieu du Cinéma Juliet Berto pour nous présenter une copie unique de son dernier film Darkness, Darkness, Burning Bright (France – 2022 – 73 min – 16 mm).
Entièrement fabriqué à la main, en utilisant les techniques du cinéma 16mm, le film est fait de tableaux en mouvements qui sont autant de miniatures convoquant l’animal, le végétal, le minéral, dans un jeu d’échelles crées par trucages optiques. Ici, l’approche expérimentale exprime – tout simplement – la beauté, qui ne relève plus seulement du cinéma mais aussi de la peinture, trouvant sa plasticité de la rencontre entre la lumière et la matière pelliculaire, entre la nature et la chimie.
Gaëlle Rouard a développé sa pratique expérimentale à l’Atelier MTK qui, depuis Grenoble, a initié un mouvement qui a conduit à la création de laboratoires artisanaux à Paris, Nantes, Marseille… Depuis, elle a construit son propre laboratoire dans sa maison du Trièves, véritable outil personnel qui permet à la cinéaste de travailler l’image argentique de manière unique. C’est l’originalité du chemin qu’elle emprunte, en arpentant le plateau du Trièves, entre Vercors et Ecrins, entre prise de vue et laboratoire, qui lui permet d’inventer, en marchant, un cinéma à la main.
Gaëlle Rouard tourne en plein jour avec une pellicule très peu sensible (un film de tirage) : l’objectif est grand ouvert. Pourtant, en regardant le film, l’impression est nocturne ? Plusieurs gestes fabriquent un temps qui n’existe pas : à la prise de vue, la cinéaste masque des parties de l’image. En n’exposant pas la partie supérieure du cadre, le ciel apparait noir, bien qu’il fasse jour dans le reste de l’image. Le développement de la pellicule couleur est à la fois très précis en temps et en température, mais c’est par des traitements croisés, en développant du film de tirage en inversible, que les procédés déraillent et que la cinéaste obtient des solarisations qui troublent la nuit. En utilisant une truca, la combinaison entre une caméra et un projecteur, la cinéaste refilme ses images dans un jeu de cache contre-cache. Ainsi, elle travaille la relation entre deux images pour en faire une. Certaines images de Darkness, Darkness, Burning Bright, sont composées de 10 surimpressions. Ainsi, l’impression nocturne est augmentée par l’incrustation, dans le ciel noir, d’images d’étoiles ou de lunes : la nuit est fabriquée à partir du jour. Le film appartient à un temps entre jour et nuit.
La marche est rythmée de nombreux tests, d’étapes de travail, de plusieurs générations d’image, pour que la lumière forte contraste avec des aplats noirs, comme chez les primitifs flamands. Cette séance exceptionnelle a été une manière de célébrer lumineusement les 100 ans du 16mm à la cinémathèque, ses outils et les savoirs faire artisanaux d’un cinéma manuel.
[Ces rendez-vous entre la #cinémathèque et le #territoire, ses territoires, présentent des expériences de cinéma qui se saisissent du territoire comme enjeu de création et qui, tout en s’inscrivant ici, sont vues ailleurs puis que l’œuvre de Gaëlle Rouard a fait l’objet d’une rétrospective aux États Généraux du film documentaire 2023.]
Photo n°1 [Gaëlle Rouard] : Le laboratoire de Gaëlle Rouard dans le Trièves.
Photo n°2 [G. R.] : Développement en spires.
Photo n°3 et n°4 [Vincent Sorrel] : Gaëlle Rouard durant la projection de Darkness, Darkness, Burning Bright, lundi 20 novembre au Cinéma Juliet Berto.