Cinéma sénégalais
Le Sénégal sous le double regard de Sembène Ousmane et Djibril Diop Mambéty
L’Association des Sénégalais de l’Isère (ASI) organise, le dimanche 19 octobre 2025, en partenariat avec la Cinémathèque de Grenoble, une journée intitulée : Le Sénégal sous le double regard de Sembène Ousmane et Djibril Diop Mambéty.
Ce pays subsaharien offre un visage très contrasté. Cela s’explique par plusieurs facteurs.
D’abord par sa géographie. C’est le pays le plus à l’ouest du continent africain. Le fleuve qui porte son nom le sépare au nord du désert qui, cependant, ne cesse d’avancer. Sa capitale, Dakar subit de plus en plus les bourrasques des vents de sable du Sahara. La région de la Casamance, jadis si verdoyante, l’est de moins en moins. Le Sahel, ce paysage de savane qui succède au désert, gagne du terrain. Alors même que ses 500 kilomètres de littoral, en font un attrait pour la pêche et le tourisme, la surpêche et l’érosion côtière menace ses mers. Ce qui ne décourage pas, pour l’instant, des nations de plus en plus lointaines, mais au sein desquelles la France joue toujours un rôle prépondérant.
Même la république de Gambie, qui s’étend comme un sourire au milieu de sa figure qui évoque un lion, ne rompt pas cet ensemble.
Ensuite par son histoire. L’empire du Djolof s’étendait dès le 9ème siècle sur sa partie septentrionale et centrale. Contreforts ouest des grands empires africains comme le Mali, le Songhaï et le Ghana, les royaumes qui composaient le Sénégal sont une matrice dans laquelle s’est forgée très tôt une nation, avec une langue commune, le wolof.
Indépendant depuis 1960, le Sénégal est l’un des rares pays africains à n’avoir jamais connu une interruption de son processus démocratique.
Et enfin sa société est un des facteurs du contraste sénégalais. L’ancienne structure traditionnelle a laissé peu à peu la place à une nation moderne. Riche des apports arabo-berbère et de la culture musulmane ainsi que chrétienne suite au contact abrupt avec les Européens, elle a su en faire un substrat important.
Des plus douloureux comme la traite négrière ou arabo-musulmane et la colonisation, aux plus exaltants, comme l’appropriation de ces cultures à travers des confréries religieuses dynamiques, des mouvements intellectuel, artistique et culturel qui ont rayonné dans le monde entier, portés par des noms comme Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, le sculpteur Ousmane Sow ou les cinéastes Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty.
Ces deux figures majeures du cinéma sénégalais et africain ont su, mieux que quiconque, croquer la société dans laquelle ils ont grandi au mitan du 20ème siècle.
Sembène Ousmane, né en 1923, est un écrivain mondialement connu depuis Les bouts de bois de Dieu. Il a commis plusieurs films salués par la critique, comme La noire de…. Une violente querelle sémantique l’opposera au président poète Senghor, sur l’écriture du titre de son film Ceddo.
Le Mandat (Mandabi) est d’abord un roman, sorti en 1965, avant que son auteur ne l’adapte en 1968 au cinéma. Il narre avec brio la quête, presque initiatique, d’Ibrahima Dieng pour trouver une carte d’identité nationale, afin de pouvoir retirer le mandat de 25 000 CFA (500 francs français, à l’époque), que son neveu lui a envoyé de France. Nous le suivons à travers les méandres de la société et de l’administration sénégalaise. Si rien ne se paie, tout se partage.
Djibril Diop Mambéty, est né alors que la Seconde guerre mondiale se terminait. Il est issu du théâtre. A 25 ans, avec Contras City et Badou Boy, il fait preuve d’une grande audace dans la création. Il invente un langage cinématographique, parfois déroutant, mais qui annonce, déjà, la naissance d’un grand cinéma. Martin Scorsese le classe parmi les 100 plus grands réalisateurs au monde. C’est à travers la Cinémathèque de Bologne que sa fondation a restauré Touki Bouki, sorti en 1973.
Comment un film tourné en 1968 (Le Mandat) et 1973 (Touki Bouki) peuvent nous permettre de comprendre les enjeux socio-politiques d’une société moderne en 2025 ?
C’est parce que ces deux œuvres portent en eux les intempérances qui traversent la société sénégalaise depuis plusieurs décennies : la solidarité traditionnelle et plus largement les valeurs d’antan soumises aux défis de la modernité ; les citoyens perdus dans les arcanes d’une administration tatillonne, gangrénée par le jacobinisme et la corruption ; une jeunesse qui rêve d’un ailleurs, car l’ascenseur social est bloqué au sous-sol ; une diaspora parmi les plus dynamiques au monde qui, aujourd’hui encore perfuse une nation toute entière. Les transferts des migrants sont trois fois plus élevés que l’aide publique au développement souligne Louise Arbour (ONU, 2017).
Deux moments d’échange permettront au public de partager leurs points de vue. Ce sera en compagnie de Thierno Ibrahima DIA, historien, journaliste et réalisateur, qui a enseigné le cinéma pendant plus de vingt ans à l’Université Bordeaux Montaigne et à travers le monde, spécialiste sénégalais de Sembène et de Mambéty . On aura la présence remarquable de de deux universitaires de l’université de Bologne. Simona CELLA est titulaire d’une thèse soutenue à l’université de Parme sur Djibril Diop Mambéty. Elle une très riche expérience comme rédactrice et responsable de productions internationales à travers tout le continent africain, au Sri Lanka et en Italie. Elle a initié des projets importants comme le collectif Keur Gou Mak au Sénégal.
Cinzia Quadrati compose aussi ce trio de chevronnés des cinémas africains. Après une thèse sur Mambéty, elle a entamé une riche carrière qui l’a menée de la rédaction du journal de cinéma Popoli au festival de cinéma africain, latino-américain et asiatique de Milan.
Tous trois ont collaboré à plusieurs parutions. Cinzia Quadratti a participé à la traduction en italien du livre Sembène Ousmane, édité par Thierno I. Dia. Elle a coédité avec Simona Cella, le livre Djibril Diop Mambety, ou le voyage de la hyène, avec une préface du cinéaste Martin Scorsese, publié en italien puis en français.
Par Moctar DIA
Président de l’Association des Sénégalais de l’Isère (ASI, Grenoble)
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Dim 19 oct • 15h30 • Cinéma Juliet Berto • Projection du film Le Mandat de Sembène Ousmane
Tarif unique : 5€
Dim 19 oct • 18h30 • Cinéma Juliet Berto • Projection du film Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty
Tarif unique : 5€
Séances suivies d’un échange avec Thierno Dia, Simona Cella et Cinzia Quadrati, historiens et sociologues du cinéma.
Pour terminer la soirée, séance de dédicace de l’ouvrage Djibril Diop Mambéty, ou le voyage de la hyène, sous la direction de Simona Cella et Cinzia Quadrati, en collaboration avec Alessandra Speciale (Éditions L’Harmattan, préface de Martin Scorsese) et partage d’un buffet sénégalais.

Le Mandat
(Mandabi)
De Ousmane Sembène - 1968 - 90 min - Sénégal, France - VOSTFR - DCP
Avec Makhouredia Gueye, Younousse N'Diaye, Isseu Niang
L'arrivée d'un mandat postal depuis Paris perturbe la vie d'un villageois sénégalais.

Touki Bouki
De Djibril Diop Mambéty - 1973 - 89 min - Sénégal - VOSTFR - DCP
Avec El Demba, Dieynaba Dieng, Assane Faye, Robbie Lawso
Mory, jeune berger venu à Dakar vendre son troupeau aux abattoirs, rencontre Anta, une étudiante révolutionnaire. Tous deux cherchent à se procurer, par tous les moyens, de l’argent afin de partir pour Paris.