TRAVERSER L’OMBRE
L’ETRANGE AFFAIRE ANGELICA de Manoel de Oliveira (2010)
Jeudi 5 novembre à 20h au Cinéma Juliet Berto
SOMBRE de Philippe Grandrieux (1998)
Vendredi 6 novembre à 20h au Cinéma Juliet Berto
En présence de Sabine Lancelin, directrice de la photographie des deux films et de Philippe Grandrieux, réalisateur.
« Je pensais que les ténèbres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu’y voient des yeux habitués à leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu’on aimerait à suivre dans leur vol !…… Il faut avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je puis t’exprimer ! »
Jules Verne, Les Indes noires.
Dans le cadre d’un atelier de recherche et création intitulé Les Indes noires, consacré à l’expérience visuelle et poétique de l’ombre, Eric Hurtado, artiste et professeur à l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Grenoble, propose sous le titre TRAVERSER L’OMBRE, deux soirées consacrées à la projection de deux films pouvant à première vue paraitre antagonistes par leurs thèmes et esthétiques, L’ETRANGE AFFAIRE ANGELICA de Manoel de Oliveira et SOMBRE de Philippe Grandrieux, mais posant en fait tous deux la question du rapport essentiel à la nuit.
Sombre, une nuit physique, une dérive éblouie, violente et transgressive, illuminant de ses ténèbres l’amour impossible. Nuit amoureuse aussi pour L’étrange affaire Angélica, espace du rêve et de la passion mortelle, absolue, entre deux êtres prédestinés, séparés dès l’origine par la vie et la mort. Le véritable film testament de Manoel de Oliveira, qui nous place soudain, spectateurs, au seuil de la lumière, du côté de l’âme. C’est grand, très grand.
Seront présents, Philippe Grandrieux, réalisateur et Sabine Lancelin, directrice de la photographie des deux films qui présentera son travail et cette relation à la nuit qui les unit, ainsi que le challenge technique des tournages avec Philippe Grandrieux et Manoel de Oliveira.
Manoel de Oliveira, à propos de son film L’Étrange affaire Angélica
L’amour est abstrait et absolu. C’est-à-dire, la vraie passion entre deux êtres est si violente qu’elle ne les laisse même pas avoir d’enfants. Ceux-ci représenteraient une distraction par rapport à l’amour absolu. L’amour absolu est le désir de l’androgynie, l’envie de deux êtres de s’unir en un seul. C’est un désir impossible mais réel.
Tout est violent ici, c’est un film extrêmement violent. C’est une violence beaucoup plus grande que celle de mes films de guerre, où la violence est plus ou moins calculée : elle est réelle, elle tue. C’est une violence de l’individu, de la personne. Filmer, photographier est violent. Un jour, j’ai dit qu’un réalisateur est comme un assassin. Comme l’un ne peut s’empêcher de tuer, l’autre ne peut s’empêcher de filmer. C’est une attraction personnelle et fatale parce qu’elle n’a rien à voir avec la vie. La vie c’est autre chose.
Philippe Grandrieux, Sombre / notes de travail
conduire le film contre le jour / c’est que la lumière est à gagner, elle n’est pas ce qui fait voir, elle vient de loin, de derrière, elle est venue à travers la frondaison des arbres ou l’étoupe d’une chevelure, elle est d’abord un rapport au monde, un premier éblouissement qui revient chaque nuit éclairer nos rêves / ciel blanc bleu et gris tendre et menaçant, ciel d’enfant cerclant l’horizon, dans ce vert éteint des prés, mesure de la lumière : ciel 11, champ 8, la lumière obturée / à la fin « Les amours perdus » / ce serait même ce qui dirait au plus juste l’amour : cette perte / et c’est au centre du film, la chose entrevue puis aussitôt lointaine, intangible / alors voilà que c’est venu, ces amours perdus, à la fin, à la toute fin, alors que tout a eu lieu, après que tout soit joué.