Entretien avec Emma Limon, pour son film I Once Was Lost

Publiée le 06 juillet 2023

Cinémathèque Festival

Emma Limon : « Je n’ai eu qu’à marcher dans les pas de mon père »
Lauréate du Grand Prix du 46ème Festival du Film court en plein air de Grenoble.

ENTRETIEN – Dans I Once Was Lost, son deuxième court métrage, la réalisatrice américaine Emma Limon met en scène un souvenir de son père vieux de quinze ans. Au travers de ce film aux faux airs de documentaire, l’ex-pensionnaire de la Fémis tisse un road-trip sensible et dépouillé en forme de journal intime, qui parvient à capter avec humour quelque chose de l’Amérique.

 

© Benoit Pavan / Hans Lucas pour la Cinémathèque de Grenoble

Dans I Once Was Lost, vous filmez un souvenir de votre père John. Qu’est-ce qui vous a donné envie de le raconter ?

L’idée m’est venue il y a deux ans, un soir d’été, alors que je dînais avec mes parents. Mon père est quelqu’un qui adore distiller des anecdotes et en général, il arrive toujours à captiver son auditoire avec ses récits. Au cours du repas, il nous a raconté une histoire vieille de quinze ans qui lui était arrivée alors qu’il venait de m’accompagner en voiture chez mon petit ami de l’époque. J’ai été surprise parce je ne savais rien de cet épisode dont j’étais pourtant l’une des protagonistes. Lors de cette soirée, j’ai rejoins ce garçon et je ne me suis plus souciée de mon père, alors que ce dernier errait dans les rues pour retrouver son chemin. La manière qu’il a eu de nous détailler ce qui s’est passé m’a beaucoup touchée. J’ai immédiatement pensé que ce récit ferait un beau court métrage.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans sa façon d’en rendre compte ?

J’ai beaucoup aimé l’atmosphère visuelle très étrange et cinématographique qui enveloppait son propos. Pendant qu’il évoquait son arrivée à l’intérieur du magasin de donuts et son échange avec ses trois mystérieuses employées, je voyais défiler des images dans ma tête. Je sais qu’il a ensuite décrit cette histoire d’une manière différente à d’autres personnes, qui l’ont interprétée d’une autre manière encore, mais je trouvais intéressant que son récit ne résonne pas de la même façon d’une personne à l’autre. Cela a renforcé mon idée que je tenais là une matière scénaristique tout sauf anecdotique.

Quelle interprétation faites-vous de ce qui lui est arrivé ?

Ce qu’il a vécu est source d’espoir ! Dans la vie, il nous arrive parfois de penser qu’on fait fausse route, qu’on s’est perdu et que tout ne sera désormais plus qu’incertitude. Personnellement, je crois que perdre son chemin n’est pas toujours une si mauvaise chose. Parfois, c’est une manière de dénicher des itinéraires que nous ne soupçonnons pas et qui sont tout aussi déterminants pour notre existence. De son côté, mon père évoque un pur sentiment « d’extase » convoqué par le hasard. Ce mot, qu’il a utilisé la toute première fois qu’il nous a conté son périple nocturne, m’a profondément marqué. Ma mère, qui étudie la psychanalyse, estime pour sa part que s’il mange autant de donuts à la fin du film, c’est pour compenser le fait qu’il a perdu sa fille… Pour être franche, je n’ai jamais pensé aux différentes interprétations que pourraient générer mon film en le réalisant. J’ai simplement souhaité que les spectateurs suivent le chemin de mon personnage et le fil de sa pensée. 

Était-ce une évidence pour vous que votre père endosse son propre rôle à l’écran ?

Oui. Notamment parce que je voulais que ce soit lui qui enregistre la voix-off. Pour moi, il n’y avait que lui qui savait comment raconter cette histoire. Je voulais que la structure du film épouse son récit plein d’humour et d’intelligence. L’autre argument plaidant en sa faveur, c’est qu’il pouvait jouer les scènes de façon instinctive puisqu’il les avait vécues. Je ne vous cache pas qu’il a été très stressé avec l’idée d’apparaître à l’écran. Mais il a accompli tout ce que je lui ai demandé. Une grande partie de mon travail sur le plateau a été de le convaincre de ne pas angoisser. J’ai passé beaucoup de temps à le réconforter en lui rappelant qu’on allait multiplier les prises et que par conséquent, il pouvait rater une réplique sans que cela compromette le film.

La voix off donne au film un côté journal intime. A-t-il été compliqué pour lui de l’enregistrer ?

Absolument pas. Je n’ai pas eu besoin de l’écrire et nous l’avons enregistrée d’une traite. Au départ, je ne pensais pas qu’elle accompagnerait le film dans son ensemble. Mais au montage, nous avons trouvé qu’elle lui apportait de la profondeur et nous avons choisi de la déployer du début à la fin. Ensuite, je n’ai eu qu’à marcher dans les pas de mon père.

Visuellement, quels ont été vos préceptes de départ ?

J’ai choisi d’opter pour un maximum de simplicité de mise en scène pour coller à l’humilité de mon père et de cette histoire à laquelle n’importe qui peut s’identifier.

Et s’agissant des décors ?

J’ai voulu avant tout rester proche de la réalité. Pour cette raison, nous avons tourné la première séquence du film dans notre maison familiale. J’ai également suivi scrupuleusement la route qu’il a emprunté ce soir-là. En revanche, le magasin de donuts est une boulangerie dénichée par ma mère, qui s’occupait des repérages du film. Le boulanger était à l’arrêt pendant un mois à cause d’une blessure à l’épaule et il a gentiment accepté de nous prêter les clés de son commerce pendant une semaine pour tourner. La boulangerie n’avait pas été rénovée depuis les années 1970 et j’y ai immédiatement vu un décor de cinéma. C’est comme si ce lieu était fait pour mon film !

Qu’est-ce que votre court métrage dit de l’Amérique d’aujourd’hui ?

Que les téléphones portables ont atténué nos rapports aux autres. Il y a quinze ans, nous étions encore tous dépendant les uns des autres. Avec les téléphones portables, c’est moins le cas. Il est aujourd’hui moins facile de se perdre et mon père aurait probablement retrouvé rapidement son chemin s’il en avait possédé un à l’époque. C’est ce qui me fait penser que cette histoire n’aurait pas fonctionné si je l’avais ancrée de nos jours. Ce qui est toujours vrai, en revanche, c’est qu’il vaut mieux privilégier les chemins ou les petites routes pour avancer dans la vie. Les autoroutes ont tendance à trop vite nous éloigner de notre but.

Qu’avez-vous appris de cette seconde expérience derrière la caméra ?

Qu’il est important d’être à l’écoute des histoires que les gens racontent autour de nous, mais aussi qu’elles viennent parfois seules jusqu’à vous, la preuve ! J’ai aussi pris conscience que la créativité n’est jamais plus foisonnante que lorsqu’elle n’est pas soumise à la pression des financements.

C’est-à-dire ?

Pour réaliser I Once Was Lost, j’ai pu utiliser l’argent que j’avais obtenu du Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) pour un projet de documentaire qui n’a finalement pas pu voir le jour. J’avais été autorisée à garder cette somme et pour boucler le film, je n’ai donc pas eu besoin de déposer des notes d’intention et d’attendre les réponses de commissions de financement. J’ai pu tourner très vite en suivant mon idée première et sans avoir à me justifier. J’ai eu l’opportunité de travailler sans pression, avec ma famille et l’idée qu’on s’amuse tous ensemble. Et cela a fonctionné.

Avez-vous déjà en tête un autre projet que vous aimeriez mener à son terme ?

Il y a une histoire que je souhaite raconter depuis longtemps. Le scénario est prêt et j’ai rencontré des producteurs qui se sont montrés intéressés pour un court métrage. Mais l’histoire se déroule à Venise et je ne souhaite pas la tourner ailleurs que là-bas. C’est encore une histoire vraie extraite de mon passé. J’aime bien le fouiller pour trouver des choses à raconter. Il s’agit cette fois d’un dîner entre un grand philosophe italien et une mère et sa fille adolescente. Le film suit le regard de cette adolescente sur les adultes de ce dîner.

Propos recueillis par Benoit PAVAN.

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