Comment l’idée de ce « teenage movie » sur les premiers émois amoureux de l’adolescence vous est-elle venue ?
En marge de mon métier d’acteur, j’ai beaucoup travaillé comme coach d’adolescents sur des séries. Je les accompagnais chaque jour et je constatais avec bonheur leur évolution, obtenue non sans travail. Je les voyais rougir, hurler dans un éclat de rire… C’est un peu l’image de la chenille et du papillon : j’observais leur éclosion et je trouvais leur métamorphose plus fascinante encore que celle d’un acteur adulte. Des affinités se créaient entre eux sur le plateau et, au fil des jours, c’est comme si la fiction se mélangeait à la réalité dans les rapports humains. Cette alchimie venait ensuite alimenter leur jeu. C’est cette expérience qui m’a donné envie d’écrire pour eux.
Quel message avez-vous souhaité faire passer au sujet de l’adolescence ?
Je me rends compte, en rencontrant des adolescents, qu’on a un peu une idée biaisée de cette période. Ces derniers temps, l’adolescence est un peu le symbole de cette jeunesse qui transmet la Covid, qui est irresponsable et qui ne sait pas s’exprimer… Pourtant, nombre de jeunes ados sont attachants, ont un vrai imaginaire et la tête sur les épaules. C’est vraiment cette idée que j’ai voulu mettre en avant en laissant mes comédiens s’emparer d’un texte très écrit. Je voulais qu’ils se l’approprient pour en faire leur propre langage et mettre en lumière cet âge d’or qu’est l’adolescence !
Pourquoi avoir choisi d’ancrer cette histoire dans le milieu du rock acrobatique ?
Depuis tout petit, je suis passionné par la danse, et notamment le ballet. J’ai aussi pratiqué le rock acrobatique, mais à un niveau bien inférieur à celui du film. Je trouvais que la discipline filait parfaitement la métaphore des premiers émois adolescents et de leurs montagnes russes. Le rock acrobatique nous projette souvent très haut dans les airs et le risque de chute est toujours très présent. L’adolescence, c’est un peu pareil. Lorsque l’on vit ses premières histoires d’amour, on se lance à pleins poumons. Mais la chute est parfois brutale car on manque encore d’expérience. Le film est parti de cette idée précise, mais il y a aussi peut-être, en creux, une démarche plus personnelle : j’ai eu envie de consoler la créature adolescente que j’ai été. L’Âge acrobatique évoque beaucoup mes souvenirs. J’avais une revanche à prendre sur l’adolescence.
Pour personnifier ces souvenirs à l’écran, il vous a fallu dénicher l’acteur qui allait interpréter Lucas. Et votre choix s’est porté sur Ferdinand Redouloux, qui brille par sa justesse jusque dans ses maladresses. Où l’avez-vous déniché ?
J’avais envie que Lucas nous fasse rire, nous fasse pleurer et que chaque spectateur puisse être en mesure de se reconnecter avec l’adolescent qu’il a été, dans une démarche de consolation. Avec Léa Gillet, ma directrice de casting, nous avons auditionné énormément d’adolescents. Mais c’est la réalisatrice Mona Achache, qui l’avait fait tourner dans l’un de ses films, qui me l’a recommandé. Sur le tournage d’un téléfilm, alors que nous évoquions nos projets, je lui ai expliqué que j’étais à la recherche d’un adolescent de l’âge de Ferdinand. Elle m’a raconté qu’elle avait récemment dirigé un acteur qui pourrait correspondre au profil de Lucas et c’est de cette manière que j’ai pris contact avec Ferdinand. C’est d’ailleurs le premier acteur que j’ai vu physiquement. Jusqu’alors, nous souhaitions que les autres candidats se présentent par enregistrements vidéo car à ce moment-là, nous ne savions encore rien du lieu et des dates de tournage. Dès l’audition de Ferdinand, j’ai été soulagé car je me suis dit qu’il constituerait une très bonne première option.
Et s’agissant des autres membres du casting ?
Après la première batterie d’essais, durant laquelle nous avons choisi pas mal de jeunes garçons, nous avons également sélectionné des jeunes filles pour les rôles des deux amies de Lucas, qui sont aussi des vecteurs essentiels de comédie. Tous trois se servent mais ce sont elles qui donnent le rythme aux scènes. Le plus compliqué a été de trouver une danseuse de rock acrobatique pour le rôle de Myrtille. Cela n’a pas été simple car la candidate devait maîtriser le côté spectaculaire de la discipline et épouser l’âge de son personnage. J’ai beaucoup cherché, jusqu’à atterrir entre Grenoble et Lyon, où se situe le poumon français du rock acrobatique car la plupart des écoles de la discipline sont situées dans la région. Je me suis rendu à une compétition et une seule concurrente, Pauline Delli-Colli, s’est montrée intéressée par le projet. Elle a fait le voyage jusqu’à Paris pour mener des essais avec les garçons. Nous avons effectué une lecture tous ensemble durant laquelle nous avons replacé les enjeux de chacun des personnages. Je ne souhaitais pas que les répétitions soient trop nombreuses car il y avait le risque que leur jeu devienne trop mécanique. Je voulais conserver leur naturel et qu’ils se surprennent eux-mêmes. Grâce à l’énorme travail de ma directrice de casting, je n’ai pas passé énormément de temps à les diriger. Ils se sont aussi très bien entendus et ont compris tout de suite ce que j’attendais d’eux.
De quelle manière Ferdinand s’est-il approprié son personnage ?
Dès l’audition, j’ai senti que Ferdinand avait déjà tout compris du rôle de Lucas. Mais il l’a amené plus loin encore que je ne l’imaginais car il possède une personnalité et une maladresse naturelle dans le corps infiniment touchantes. De sa manière d’être se dégage une poésie innée, toujours sur un fil. Ferdinand a attrapé Lucas par le col et l’a fait venir à lui. Au point qu’à un moment donné, j’ai été dépossédé du personnage et spectateur de son éclosion. C’est donc tout naturellement qu’il a endossé le costume de Lucas. Ferdinand est un jeune garçon brillant. Il a très envie d’en faire son métier et c’est bien parti.
Les répliques sont très écrites. Quel espace d’improvisation avez-vous laissé aux acteurs ?
Je n’avais pas envie de laisser la place à l’improvisation car j’avais le sentiment que le texte allait suffire à la comédie. Je voulais que le texte soit su au rasoir. Lorsqu’ils le changeaient, je leur demandais de le respecter ou je les invitais à ce que nous discutions ensemble des éventuelles modifications à apporter. Au début, tous avaient d’ailleurs tendance à le réciter de façon un peu trop scolaire. Je l’ai donc réécrit en prenant soin d’ôter toute sa ponctuation pour les inciter à travailler davantage sur la pensée. Je voulais que leurs répliques ne ratent pas leur cible. Leur imposer cette rigueur sur le texte m’a été un peu compliqué, mais je savais que c’était pour le bien du film et avec du travail, nous avons réussi. C’est une manière de travailler que j’apprécie et que j’ai envie de mieux maîtriser.
Vous avez une formation d’acteur et vous officiez depuis plutôt sur le petit écran, après un passage par le théâtre. Qu’est-ce qui vous a convaincu qu’il était temps pour vous de passer derrière la caméra ?
Je pense que l’élan provient davantage du rapport que j’entretiens à l’écriture plutôt que d’un rapport à l’image. C’est un appétit qui vient de mon artère d’acteur et des longs textes où la pensée se déploie très vite. J’ai toujours écrit des textes avec un rythme et une musicalité. Pour moi c’est au travers du rythme de l’écriture, et non par les situations, qu’on arrive à bâtir une bonne comédie. La mécanique de L’Âge acrobatique, que j’ai écrite après un premier scénario malheureusement resté à l’état de fantôme, s’articule beaucoup autour des dialogues car la situation de départ est finalement assez banale.
À quel moment de votre processus vous êtes-vous intéressé à l’image ?
J’avais dès le départ une idée très précise de ce que je souhaitais de ce point de vue, notamment en termes de colorimétrie. Je me suis vraiment imprégné de Diabolo Menthe (Diane Kurys, 1977), des teenage movie américains, et des films de Wes Anderson, qui est un réalisateur que je chéris. Je voulais faire attention à la coordination des couleurs. Avec mon directeur de la photographie, Cyril Loubert, nous avons beaucoup travaillé les cadres en amont du tournage car il s’agissait de mon premier film et j’étais un pur novice en matière de réalisation. Je lui racontais comment j’imaginais la scène, je me mettais en scène, et il me faisait des propositions. Le film a été tourné à Saint-Ouen, en grande partie dans un gymnase. Il a été achevé en mars 2023.
Côté bande son, vous avez été piocher dans différentes époques…
Comme pour les costumes. C’est un film qui se passe en 2023, mais j’avais envie qu’il puisse résonner dans chacun des spectateurs. Je ne voulais pas que la musique imprègne quelque chose de générationnel. C’est pour cette raison que je souhaitais élargir le spectre musical et aller du classique à l’électronique sans transition. Je ne voulais pas non plus cantonner uniquement le film à la musique traditionnellement utilisée pour la pratique du rock acrobatique. Je voulais casser les codes pour sortir de cette idée « d’époque » au cinéma.
Techniquement, qu’est-ce qui a été le plus dur à surmonter pour le débutant que vous étiez ?
Le montage. Je n’avais jamais été dans une salle de montage de ma vie. Enfermé devant un écran avec quelqu’un que je ne connais pas, à regarder mon film encore et encore… je me suis demandé si je n’allais pas me lasser ! Finalement, ce n’est jamais arrivé. Nous n’avons pas trouvé l’ossature du film tout de suite. Il nous a fallu beaucoup de travail, mais tout s’est finalement imbriqué assez simplement.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Je n’ai jamais pris autant de plaisir dans la construction d’un film ! Cela s’explique d’abord parce qu’en tant que réalisateur, j’ai été maître de mes désirs. Je n’ai pas été contraint de susciter le désir de quelqu’un, comme c’est le cas lorsqu’on est acteur, et c’est comme si je m’étais délesté de quelque chose. Je me suis rendu compte qu’en tant qu’acteur, je suis beaucoup trop centré autour de mon personnage et de ma personne. Je n’avais jusqu’alors jamais pris le temps de m’intéresser au talent, à la rigueur et au savoir-faire des techniciens qui travaillent autour de moi. Pour L’Âge acrobatique, il m’était nécessaire de prendre ce temps et je me suis beaucoup appuyé sur leur talent pour bâtir le film. L’autre aspect que je retiens, c’est que le tournage a un peu été pour moi comme une évidence. J’ai pris conscience que la maison dans laquelle je suis le plus à l’aise n’est pas forcément dans laquelle je travaille depuis vingt ans. J’ai certainement fait des erreurs, mais tout est perfectible et j’espère pouvoir retravailler avec la même équipe car cette expérience a été géniale. J’ai mis en branle ma curiosité et j’ai été touché par les rapports humains et professionnels que j’ai entretenu avec chaque membre de l’équipe. Les productions de courts métrages sont en général des économies relativement précaires, même si L’Âge acrobatique a été aidé par le CNC et Canal+. Les techniciens ne sont pas toujours payés à la hauteur de leur talent et de leur savoir-faire. Et pourtant, à aucun moment, l’équipe ne me l’a fait ressentir. J’étais le pilote du bateau et j’avais les moussaillons qu’il fallait à mes côtés. J’ai adoré faire ce film !
De quelle manière envisagez-vous la suite ?
Je sens que je n’ai pas encore tout raconté sur le rapport à l’anamour de Lucas et j’aimerais bien le confronter aux mêmes problématiques, mais à d’autres âges. Je ne sais pas si je le ferai avec Ferdinand ou pas, mais je voudrais, pour chaque âge, trouver un acteur qui soit dans l’ADN qu’il a donné à ce personnage. Avec Ferdinand, il y a toutefois de grandes probabilités qu’on se retrouve sur un autre projet. J’en ai en tout cas très envie. J’ai d’ailleurs déjà écrit un autre film avec le personnage de Lucas. C’est l’adaptation d’un livre, mais pour l’heure rien n’est bouclé contractuellement. Lucas a grandi, il a quarante ans et le film s’appelle pour l’instant La Circonférence du cœur. Ferdinand serait parfait pour ce projet !
Lucas, c’est un peu votre Paul Dédalus et Ferdinand, votre Jean-Pierre Léaud ?
Oui, peut-être !
Propos recueillis par Benoit PAVAN